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Avarie de safran... ça, c'est fait ! (2)

Voici un récit, peut-être un peu trop détaillé, de notre dernière mésaventure. Mais cela permet de comprendre, du moins pour les initiés, nos décisions successives.

Traversée Bonaire - Haïti... Nous partons de Bonaire dans des conditions idéales le mercredi 3 décembre à 8h30. La météo pour cette traversée est bonne bien que le vent doive fraîchir à 20 nds Grib à l'approche de la République Dominicaine pour la deuxième nuit. Nous visons l'île Beata où nous avons envie de nous arrêter une journée avant de continuer sur Haïti.

Effectivement, le vent de travers forci à 25 nds, parfois 30 en fin de seconde nuit mais la vague n'est pas trop forte, 2m50 environ. A cette allure, le bateau roule beaucoup et nous ne dormons par énormément. A 8h, le vendredi 5 décembre, le pilote se met en alarme. Pierre prend la barre et constate qu'elle ne répond plus ! Moment de panique... Impression désagréable de moment déjà vécu ! Nous pensons tout de suite que les soudures faites sur l'axe, à l'intérieur du safran, au Cap Vert en 2010, ont sauté. Nous sommes à la position 16° 56,3N/71°02,7W à 40 nm au SE de Isla Beata.

Le bateau va dans tous les sens. Nous commençons par affaler la grand-voile tant bien que mal. Anegada vire de bord et la trinquette se met à contre. Dans cette position, à la cape, il se stabilise et dérive doucement... malheureusement en direction du sud... d'où l'on vient ! On constate au moins qu'il tient la cape et on en profite pour reprendre nos esprits. Ensuite Pierre enclanche le moteur et met la marche avant. Anegada vire immédiatement. Nous en déduisons que le safran est en travers et, comme nous avons très peu d'amplitude dans la barre à roue, qu'il est bloqué dans cette position.

Nous avons toujours pensé que nous pourrions, en cas de nouveau problème, faire un gros noeud d'amarre autour du haut du safran et grâce à des poulies au bout du tangon, mettre un système de barre de secours en place... En pratique, dans la mer que nous avons autour de nous, cela paraît beaucoup plus compliqué et nous n'envisageons pas du tout de nous mettre à l'eau dans ces conditions ! Nous reprenons donc la cape sur ce bord qui nous rapproche au moins de la République Dominicaine. Nous dérivons à 2 nds en direction de l'île Beata. A cette vitesse, nous avons 20 heures devant nous avant d'être proche des côtes, donc 20 heures sans danger particulier.

Nous aimerions bien ouvrir l'arrière du bateau pour faire un diagnostic plus précis. Mais pour cela, il faut déplacer le radeau de survie, très lourd, et ôter une quinzaine de vis. Avec les vagues et la fatigue de la nuit, nous ne nous en sentons pas encore le courage !

Par contre nous entamons des recherches pour savoir quels pourraient être les moyens de remorquage en République Domincaine. Car, contrairement à notre expérience précédente, le bateau ne paraît pas manoeuvrable du tout. Sous notre vent, c'est Haïti puis Cuba... Pas la peine d'attendre de l'aide dans ces régions. Même si nous espérons pouvoir monter un système de secours dans des eaux plus calmes, mieux vaut avoir déjà des infos et des contacts. Nous appelons Bernard en Suisse, qui cherche le numéros de téléphone du port de Barahona. à 75nm dans notre nord. Nous nous félicitons d'avoir attendu la batterie de notre iridium à Curaçao car j'ai tenté quelques pan pan (appels de secours) sur la VHF sans aucune réponse.

On me balade de bureau en bureau, toujours très gentiment, mais mieux vaut parler un peu d'espagnol ! Nous recommençons le récit de notre problème à chaque appel. A 11h15, nous sommes en contact avec le capitaine de la Navy (c'est le nom que l'on nous donne mais nous ne savons pas s'il s'agit des gardes-côtes, de la marine, de la marine US ???). Il nous annonce qu'un bateau va venir à notre rencontre et sera là dans 3 ou 4 heures. Il faut les appeller régulièrement pour donner notre position.

En même temps, nous sommes en contact avec Mme Tischler de la Murette, notre assurance. C'est vraiment un soulagement d'avoir ce support. Elle nous rappelle les points importants en cas de remorquage : ne pas donner de valeur de bateau, ne rien signer, demander si possible le formulaire de la Lloyds et l'appeler en cas de problème. Je rappelle du coup la "Navy" pour préciser que nous ne sommes pas en danger, que nous ne demandons pas de sauvetage, que nous essayons de nous débrouiller par nous-mêmes, que la mer est trop forte pour un remorquage au large et que nous aviserons le samedi matin. Mais on nous répond que le bateau va venir de toute manière. Je demande alors s'ils savent ce que cela va coûter. "C'est gratuit... ne vous inquiétez pas ¨" Alors nous attendons et profitons de nous reposer un maximum.

En milieu d'après-midi, nous nous décidons à ouvrir le compartiment donnant accès au système de barre. Surprise ! C'est le palier de barre qui a cassé (grosse roue en fonte d'aluminum qui transmet la direction entre la barre à roue et le safran grâce à deux câbles, les drosses). Du coup on remarque que le safran a l'air de tourner normalement sur son axe. Je dégage le pilote et le testeur d'angle de barre pour qu'ils ne s'abîment pas inutilement.

Sur ce... à 16h30, le bateau arrive enfin ! Le Canopus 107 appelle à la VHF et nous pose encore de nombreuses questions... l'âge du capitaine... adresse, no de passeport pour contacter notre ambassade (???). Toujours très poliment et dans un anglais approximatif. Nous passons 5 minutes à essayer de donner la lettre X, avec tous les accents possible. Même Xray du code international n'est pas compris !

Ils nous annoncent qu'ils vont nous remorquer ! Bien que peu enthousiastes, nous pensons avoir affaire à des professionnels connaissant leur travail et leur faisons confiance. Notre corde est prête. Ils s'approchent pour nous lancer une touline. Sur tribord... sur babord... ils dansent sur les vagues autour de nous et nous inquiètent beaucoup ! Finalement ils se placent devant nous... et mettent la marche arrière à fond !!! Je suis tout à l'avant... je recule et hurle ! Leur poupe écrase notre balcon avant mais j'ai la touline ! Nous récupérons leur corde et y attachons la nôtre. Ouf ! Quelques dégats mais rien de grave.

Mais Canopus traîne à démarrer. Nous le dépassons. La corde passe sous notre quille. Quand il se met en marche, cela nous fait pivoter. Il nous tracte par l'arrière et nous avons peur pour notre safran et notre hélice. Après 15 min à essayer de ressortir la corde en la laissant descendre, en tirant d'un côté, de l'autre, nous relâchons tout !

Nouvel essai... nouvelles frayeurs ! Nous récupérons la touline une seconde fois. Canopus met les gaz à fond et je hurle d'aller doucement. Un marin pense que j'ai les doigts coincés et demandeau pilote de s'arrêter (il nous l'a dit ensuite, à terre). Et là, c'est le pompon ! Canopus recule... et se prend la corde dans son hélice ! Nous sommes toujours reliés et approchons parfois dangereusement. Pierre met alors la marche arrière pour garder une certaine distance.

Sur Canopus, c'est un peu la panique. Finalement, un marin équilibriste descend à une petite échelle de corde avec un gros couteau pour essayer de cisailler l'amarre. Il passe sous les vagues toutes les 30 secondes, sans harnais et sans gilet ! Je me dis que nous aurons encore à le récupérer et à faire nous-même un sauvetage ! Mais il tient bon. Par contre il n'a pas beaucoup de succès car la corde est profonde.

Au coucher du soleil, nous perdons courage et décisons de tout lâcher. Nous avertissons Canopus que nous nous débrouillons par nos propres moyens pendant la nuit et que nous apprécions s'ils restent à proximité. Nous leur demandons une météo mais ils ne l'ont pas. Nous essayons alors la barre franche de secours qui avait été inutilisable au Cap Vert. Comme nous n'avons plus de secteur ni de drosses, elle est beaucoup plus facile à manoeuvrer, même si, avec les vagues, c'est parfois hyper dur de la tenir. Les marins doivent être très étonnés de nous voir partir tout seuls à 5 nds avec un bout de trinquette et se demander si nous nous sommes moqués d'eux ! D'autant qu'eux sont toujours bloqués par la corde dans l'hélice. Nous essayons de leur expliquer qu'on arrive à barrer mais que c'est très dur. Ils arrivent finalement à se déagager et à nous suivre.

Après une heure, Pierre a le dos en bouillie et je prends le relais. A 21h, la mer a grossi à l'approche du cap et Pierre est submergé par les vagues. Nous annonçons que nous allons dormir deux heures et nous demandons une surveillance du Canopus qui, très gentiment toujours, nous dit qu'ils sont "a su orden" et qu'on peut se reposer tant qu'on veut.. Nous tombons dans nos couchettes même si le bateau est une vraie balançoire. Nous reprenons courageusement la route à 23h puis la mer se calme petit à petit et le vent tombe même complètement. Nous faisons encore une courte pause en fin de nuit car mes yeux ne tiennent pas ouverts ! Et à 10h nous entrons dans le port de Barahona et allons nous mouiller dans la petite mangrove.

Dès l'ancre posée, on nous hèle depuis la terre "Immigration, immigration". Nous devons d'abord descendre l'annexe du pont et lui installer le moteur. Pas le temps de prendre une douche... nous allons chercher les autorités qui doivent nous prendre pour des zombies... c'est leur faute ! Ils montent à bord. Puis quand je les ramène à terre, il y en a encore d'autres... la douane et la "navy". Je fais alors la connaissance du Commandante Ferreira qui nous a assistés. Très souriant, il prend une photo souvenir du bateau et nous dit qu'il a eu peur aussi pour nous ! Mais le douanier s'impatiente et quand j'ai fini de l'aider à remplir péniblement son formulaire (!!!), mon beau commandant a disparu !

Le Canopus est à quai, pas très loin. Comme nous avons peur qu'il s'en aille, nous allons en annexe lui ramener sa touline, récupérer notre corde de remorquage et surtout bien les remercier. Le commandant, très sympa, nous dit qu'ils sont à notre service et qu'on peut leur demander ce qu'on veut !

Côté réparation, la chance nous sourit puisqu'en amenant les officiels à terre, j'ai rencontré Captain John, un américain ancré dans la baie avec son motoryacht qu'il a construit lui-même. Constructeur de bateaux et spécialiste de la soudure ... On ne pouvait pas mieux tomber ! Mais il s'absente jusqu'à jeudi... il faudra attendre un peu. Pas grave ! On a de quoi s'occuper !

Entretemps, le moteur de l'annexe fait des siennes et reste à plein gaz ! Démontage, nettoyage... Et on peut enfin mettre pied à terre et visiter un peu Barahona qui nous enchante rapidement par sa vie, son animation (pour ne pas dire agitation !), ses odeurs (pour ne pas dire plus !), sa musique (pour ne pas dire son brouhaha !). Je raconterai cela plus tard !

Après un jour de repos, nous déposons le balcon avant et Pierre l'emmène en motoconcho chez un soudeur, à même le trottoir. Travail de cochon mais cela tiendra jusqu'à ce qu'on trouve un vrai soudeur. On ne veut pas abuser de John ! Nous sortons aussi le palier pour le nettoyer et le préparer pour la réparation. Je vais faire quelques photos sous l'eau. Le haut du lest est un peu marqué à l'arrière, comme le bord de fuite du safran. Mais l'hélice est intacte.

Alors maintenant... Haïti ou pas Haïti ??? A voir !



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