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Port Antonio en Jamaïque

Nous n'avions pas vraiment l'intention de nous arrêter en Jamaïque, d'autant que ce n'était pas sur notre route ! Pierre avait un mauvais souvenir d'un passage dans l'île lors d'une régate avec Merit Cup. En visitant l'intérieur, ils s'étaient perdus et en demandant leur chemin, s'étaient retrouvés dans leur voiture avec un coupe-coupe sous la gorge avant de faire marche arrière rapidement. Mais les plans sont faits pour être changés et plusieurs personnes nous ont parlé de Port Antonio où une jolie et sympathique marina accueille les voiliers et où on se sent en sécurité. Quand, en plus, nous apprenons qu'il est possible de sortir le bateau de l'eau à un prix plus que raisonnable, nous rebroussons notre chemin sur 350nm pour atteindre la pointe nord-est de la Jamaïque. En effet, l'antifouling posé à Grenade n'est plus du tout efficace et nous souhaitons refaire de beaux dessous à Anegada avant l'été.

La première partie du trajet se fait petit à petit dans les Jardins de la Reine en compagnie de Miti. Nous avons déjà fait notre sortie de Cuba mais les Jardins sont assez éloignés pour que personne ne se préoccupe de deux voiliers pêchant quelques poissons et langoustes. Nous laissons passer plusieurs jours de fort vent d'est (surtout des nuits où il se double de vents catabatiques violents !) et nous nous lançons dans les deux cents derniers milles que nous parcourons en une quarantaine d'heures. Arriver de nuit dans un port inconnu, ce n'est jamais très agréable. Mais l'entrée est bien balisée et la carte électronique doublée d'une vieille carte trouvée sur internet nous aident. Nous jetons l'ancre en reconnaissant le bateau voisin, Lolo, propriété d'un jeune couple anglo-suédois avec leur petit Teddy, rencontrés à Santiago. C'est bon signe, nous sommes au bon endroit !

Le lendemain au réveil, nous découvrons une magnifique baie entourée de végétation luxuriante, de petite maisons colorées cachées dans les arbres. Pierre me dit : "On dirait Grenade !" De plus, l'eau du mouillage est claire et incite au bain matinal. Un employé de la marina approche en zodiac et nous amène de la documentation et des papiers à remplir pour les clearences. Quelle organisation ! Une fois ces papiers remplis, nous devons aller à quai avec le bateau pour la visite de la "Quarantine". Une jeune femme vient à bord, nous pose quelques questions sur notre santé, inspecte quelques placards, les WC et nous donne ensuite l'autorisation de descendre à terre. Nous attendons encore la douane et l'immigration. Pierre est impatient et part faire quelques courses, repérer les supermarchés et retirer de l'argent. Heureusement, car à 17h30, les autorités n'ont toujours pas passé. Il faut dire que c'est samedi et que les choses sont nettement plus décontractées qu'à Cuba ! Au secrétariat de la marina, on nous dit de ne pas nous en faire, qu'on pourra faire le nécessaire lundi. Nous pouvons retourner au mouillage et nous préparer pour la "party".

Car nous avons déjà été invités à une "party" par David qui est en visite sur le bateau voisin à quai. Il a une maison secondaire proche de Port Antonio et nous nous y rendons en voiture avec Patrick et Regina, propriétaires du bateau. Nous y retrouvons d'autres personnes, toutes de race blanche (sauf une) mais toutes d'origine jamaïcaine depuis plusieurs générations. C'est un peu une découverte car même si on connaît l'histoire de ces îles et qu'on a entendu souvent parler des Békés (n'est-ce pas Georges !!!), on pense plutôt "rasta" que "blanc" quand on pense "Jamaïque". Soirée très intéressante où nous avons parlés de politique, de drogue, d'économie et aussi de bateau bien sûr. Un des couples posséde des plantations de bananes qui ne sont plus rentables face à la concurrence de l'Amérique Centrale où il n'y a pas de cyclone et où les plantations sont plus grandes. Ils essaient de se diversifier et de faire des chips de bananes, de yucas, de fruits à pain. Patrick, lui, avait une entreprise de confection d'habits, mais avec la concurrence de la Chine, il a préféré arrêter et prendre sa retraite. On comprend que l'économie de la Jamaïque, comme celle de beaucoup de ces petits états des Antilles, n'est pas à la fête. On comprend aussi que la drogue est un énorme problème, autant côté trafic que côté consommation qui est pourtant interdite même pour le cannabis ! En voyant les yeux de beaucoup de personnes en ville, on se demande comment cette loi est appliquée. Mais comment l'appliquer au pays de Bob Marley ? Pendant la soirée, un disque tourne et notre hôtesse, plutôt style dame patronnesse, se trémousse en rythme. Nous constatons que le reggae est bien la musique des Jamaïcains, même blancs. Nous découvrons ainsi Atton Ellis, un classique paraît-il.

Les jours suivants, Petter et Rosanna, de Lolo, nous donnent des tuyaux sur les choses à visiter et surtout nous remettent leur voiture de location car ils partent un peu précipitamment pour la Colombie en raison d'une fenêtre météo. Nous profitons de partir un jour du côté de l'ouest, l'autre de l'est, tout en restant dans l'état du Portland qui est le plus sûr de la Jamaïque et aussi le plus verdoyant. Nous retrouvons vraiment l'ambiance antillaise des îles anglaises et cela nous fait plaisir car depuis Grenade nous ne l'avions plus vécue, les îles Vierges et Puerto Rico étant trop américanisées et la République Dominicaine déjà hispanique. C'est la saison des crabes et à Annotto Bay, où nous nous arrêtons pour manger, un homme les lâche et essaie de nous les faire attraper. C'est l'attraction sur la place ! Les enfants sortant de l'école marchent le long des routes dans leur uniforme, costume kaki pour les garçons et robe bleue à bretelles sur chemisier blanc pour les filles. En nous voyant passer, il crient "Eh ! Whities !". Les maisons sont très pauvres et souvent recouvertes de tôle ondulée brute. Du coup, notre impression de pauvreté et de décrépitude à Cuba devient très relative. Nous allons nous baigner dans le Rio Grande, une rivière qui descend des Blue Mountains et qui servait au transport de la banane, grâce à des radeaux en bambous, jusqu'à Port Antonio où elles étaient chargées pour l'exportation. De jeunes gens lavent leurs vélos et se baignent. Un femme fait sa lessive et étend son linge sur les pierres de la berge. Quand une voiture arrive et se parque à proximité, Pierre devient nerveux, se rappelle de mauvais souvenirs, et nous partons.



En partant du côté est, nous découvrons de superbes baies aux eaux turquoises et des petites plages idylliques. Un jeune s'entraîne en planche à roulette et me fait bien penser à Yann qui passait des heures ainsi à passer d'un obstacle à un autre. Je le fais poser pour la photo en lui parlant de Yann et lui demande s'il ne s'est encore rien cassé... Un bras seulement ! Un peu plus loin, la forêt laisse la place à de vertes prairies avec des vaches. On dirait les Açores ! Nous nous arrêtons sur la plage de Long Beach, où Lolo venait faire du surf tous les jours (avis aux amateurs) pour profiter d'un spectacle étonnant : séance photo avec deux mannequins pour un journal de mode.


Nous allons souvent en ville pour nous approvisionner au marché et dans les petits supermarchés. La différence avec Cuba est énorme et les montagnes de produits divers s'entassant dans tous les coins nous paraissent du coup impressionnantes. Cela ne veut pas dire que les Jamaïcains ont de quoi acheter tout cela... de loin pas ! Il y a beaucoup de mendiants dans la rue. Nous voyons aussi beaucoup de rastas mais peu ont l'air de suivre leur philosophie qui voudrait qu'ils ne boivent pas d'alcool. L'un d'eux, Milton, nous vend de la musique reggae, des copies de CD en fait. Un autre arrive sur un radeau de bambous vers le bateau pour nous vendre un régime de bananes ou des mangues.

Mais notre principale activité en Jamaïque, c'est la sortie du bateau. Le chantier en dur, très propre, est quasiment vide. Le matériel, grue, ber, est en très bon état et Georges, le responsable, est un homme en or. Serviable, précis, attentif, c'est lui qui manie la grue. Pierre profite du karcher pour prendre une douche revigorante. Nous passons deux jours hors de l'eau et engageons Presley qui propose ses services à tous les bateaux en espérant un job. Comme nous le dit avec humour Patrick, notre voisin jamaïcain, il a bien appris des anglais et empoche l'argent en sous-traitant le travail à ses copains et en en faisant le minimum lui-même. Pierre s'énerve, comme d'habitude, car il aimerait la qualité de service suisse aux prix jamaïcains ! Finalement l'antifouling est posé, rouge pour les appendices et noir pour la coque car nous n'avons trouvé que deux bidons de noir ! Nous profitons de repeindre, de notre côté, les lignes bleues au-dessus de la flottaison, qui devenaient plus dentelle que ligne ! Nous espérons que nos ouvriers vont attaquer le polish, mais la moindre petite averse les fait fuir pendant plusieurs heures et quand ils reviennent, c'est pour réclamer leur argent ou des bières en nous disant que de toute manière ils peuvent aussi polisher à l'eau, plus tard. Seul Jason, un jeune Jamaïcain à la coiffure incroyable a vraiment mis du coeur à l'ouvrage. Papa d'une petite fille de 15 mois, cela le motive à travailler pour sa famille. Il veut mettre de l'argent de côté afin de se payer une école professionnelle et devenir policier. Malheureusement, ce n'est pas avec lui que nous avons établi le contrat, il nous faut attendre le bon vouloir de Presley. Finalement, nous perdons patience et remettons le bateau à l'eau.

Au port, l'animation est grande car la "Clipper Race" fait escale à Port Antonio. C'est une régate sur monotypes qui fait le tour du monde en dix étapes avec des équipiers amateurs qui paient leur place à bord pour une ou plusieurs étapes. Dix bateaux sont aux pontons et du coup, le wifi est suroccupé. J'arrive tout de même à me connecter pour consulter la météo qui n'annonce rien de bon... du vent du sud depuis le milieu de la semaine pour une semaine environ. La saison des cyclones approchant, nous ne serons tranquilles qu'une fois en dehors de la zone, ou du moins plus au sud. A peine le bateau remis à l'eau, nous décidons donc de faire les sorties officielles et de partir le lendemain matin pour atteindre Providencia avant le vent contraire. Tant pis pour le polish, tant pis pour la Jamaïque qui était pourtant bien sympathique. La météo est prioritaire.

Nous passons un dernier bon moment sur La Soghia avec Jean-Luc et Ghislaine, qui ont traversé l'Atlantique sur les Açores en 2007 en même temps que nous. Ils partent aussi le lendemain sur le Rio Dulce. Puis nous allons dépenser nos derniers dollars jamaïcains en mangeant une bonne glace sur le quai comme les familles de Port Antonio qui viennent faire leur sortie du soir dans ce joli parc appartenant à la marina mais ouvert à tous. Avant de monter l'annexe sur le pont, nous allons dire au revoir à Patrick et Regina, en souhaitant avec eux que la Jamaïque sorte sans trop de mal de la crise politique qui bloque la ville de Kingston en ce moment, liée à l'expulsion d'un gros dealer.

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